De l’importance d’une force commerciale très structurée…
Pour ce premier épisode, Caroline Meesemaecker a eu le plaisir d’interviewer Charles Thomas, Directeur Commercial de Cos d’Estournel et des Domaines Reybier et d’évoquer avec lui la force commerciale des propriétés.
Aujourd’hui, Cos d’Estournel se trouve sur les plus belles tables du monde entier. Est-ce que cela fait partie de ta stratégie ? Comment avez-vous mis cela en place ?
« Effectivement, c’est une stratégie de Cos depuis longtemps. Nous avons un propriétaire qui est assez visionnaire à ce niveau-là, qui a souhaité, entre guillemets, aller au-delà de la Place de Bordeaux en termes de distribution, tout en passant par la Place, mais en s’intéressant aussi à ce qui se passe après, donc en travaillant de près avec les négociants qui nous sont chers et qui valorisent bien nos vins.
De plus, nous avons une équipe commerciale dédiée à cet aspect depuis maintenant presque 10 ans. Elle se concentre sur les principales zones stratégiques, notamment les États-Unis, qui sont créateurs de marque, ainsi que l’Asie, un marché important pour nous, en particulier à Shanghai. Nous avons également une personne qui va maintenant être en charge de Singapour et des îles du Sud et du Pacifique, en plus de Shanghai.
Sans oublier notre chère Europe. Nous avons une responsable commerciale pour l’Europe, basée ici, avec une forte présence en Angleterre et en France. Elle sillonne souvent le Sud-Est, le Sud-Ouest, Paris, les Alpes, et aussi des régions comme la Bourgogne et l’Alsace, qui sont de plus en plus importantes dans nos relevés et dans nos ambitions pour la restauration. On pense souvent à l’export, mais il est essentiel d’être bien présent sur notre « marché mère », si je puis dire.
Quant à notre présence sur les plus belles tables du monde, je pense que nous y sommes. Rien n’est jamais parfait, bien sûr, mais c’est un objectif vers lequel nous tendons. Nous avons la chance d’avoir Wine Services qui nous aide également à identifier ces tables, à savoir qui y est, qui n’y est pas, et comment nous pouvons renforcer notre présence. »
Comment l’idée de structurer l’équipe terrain pour avoir une prise directe avec le vignoble est-elle née chez Cos d’Estournel, et comment l’avez-vous mise en place, inspiré par des stratégies de grands vins internationaux ?
« Effectivement, tu mentionnes à l’instant les vins hors Bordeaux, comme les Italiens, les Supertoscans, dont certains passent de plus en plus par la place de Bordeaux. Il y a aussi les Napa, que tu as mentionnés, dont certains utilisent la place de Bordeaux pour tout ce qui concerne les marchés hors US, notamment l’Asie, et parfois l’Europe, pour avoir une plus grande capillarité.
Pour Bordeaux, finalement, c’est assez récent, parce qu’avant, les châteaux, les propriétaires, s’appuyaient sur le négoce de Bordeaux, notamment pour les primeurs. Grâce à certains journalistes influents, ils vendaient aux négociants qui, ensuite, faisaient leur travail. Mais les propriétaires ne regardaient pas vraiment ce qui se passait après.
Depuis maintenant quasiment 15, 20 ans même, certains châteaux, qui en ont les moyens, voyagent parfois plus que les négociants pour faire en sorte que leur marque soit bien représentée sur les marchés. C’est assez nouveau à Bordeaux, cette démarche de mieux connaître son consommateur, ou en tout cas ses marchés. Et c’est une transformation qui, à mon avis, ne fait que commencer et qui va encore s’amplifier.
Je pense que l’arrivée, pour certains, de vins hors Bordeaux via le négoce va aussi pousser les châteaux bordelais à se professionnaliser dans cette optique. C’est dans cette tendance-là qu’on a choisi d’avoir des équipes sur le terrain.
Pour répondre à ta question d’origine, ça fait maintenant presque 10 ans qu’on a des personnes sur le terrain. Le but, c’est de travailler main dans la main avec la distribution locale. Il n’est pas question de court-circuiter le négociant, le distributeur ou l’importateur, mais vraiment de collaborer avec eux pour s’assurer que nos vins soient présents sur les points de vente qu’on cible, grâce à leur aide logistique et leur force commerciale.
Donc, il y a pas mal de choses qui changent à Bordeaux, et ça concerne aussi certains négociants. Alors, je ne vais pas les citer ici, mais ils se reconnaîtront, ceux qui sont de plus en plus présents sur le terrain. Je pense notamment au Japon, où ils importent depuis longtemps, et bien sûr à la Chine, même si la Chine est plutôt un marché de « mass market », entre guillemets. Aux États-Unis, c’est un travail de fourmi, et certains négociants y ont plusieurs personnes sur place qui font un boulot remarquable. On a vraiment des experts là-bas, et c’est avec ces négociants-là qu’on va bosser main dans la main pour placer nos produits, grâce aux retours du terrain et aux connaissances de nos commerciaux, qui, en général, viennent souvent des distributeurs locaux et des négociants que j’évoquais. »
Si on se projette sur les prochains mois ou les prochaines années, quels sont les grands enjeux pour votre développement commercial ? Que ce soit en termes de marché, de réseau ou même de système de distribution ?
« J’ai le sentiment que les négociants vont être de plus en plus sélectifs avec leurs partenaires châteaux, et inversement. Les châteaux aussi vont choisir plus attentivement leurs négociants, avec l’idée de consolider un véritable fonds de commerce. Ça devient crucial, surtout pour les primeurs, où je pense que les négociants vont s’engager davantage.
Pour moi, l’avenir du métier, c’est clairement ça : à terme, je ne crois pas que les distributeurs et les négociants se contenteront de jouer un rôle de simple intermédiaire. Sauf peut-être pour quelques brokers ici et là, notamment en Angleterre, qui fonctionnent un peu comme des « passe-plats », avec de petites marges. Mais ce qui va compter, à mon avis, c’est un rétrécissement de la chaîne. On va avoir moins de partenaires, mais des partenaires négoce et distributeurs vraiment investis dans le travail de nos vins, en collaboration étroite.
Donc ça, c’est pour l’aspect distribution. Et puis, il y a aussi le côté plus en aval. On est encore loin d’avoir tout fait. Quand on regarde les restaurants qui ouvrent, rien qu’à Bordeaux, il y a dix ans, il n’y avait pas grand-chose ici, et aujourd’hui, ça a complètement changé. D’autres villes suivent la même dynamique, et il y a un vrai potentiel d’accroître notre présence, dans les pays qui sont en pleine expansion.
L’idée, c’est de rendre nos vins encore plus présents, que ce soit sur les tables des restaurants, chez les cavistes, ou chez les consommateurs. Je pense vraiment qu’on est au début d’une nouvelle ère, beaucoup plus professionnelle, qui se dessine à Bordeaux.
Et les négociants, eux aussi, partagent de plus en plus de données statistiques, ce qui n’était pas forcément dans leur culture avant. Avec ces outils-là, on peut affiner notre présence selon ce qui fonctionne ou non. Avant, on voyait les choses d’une seule dimension, maintenant on les perçoit en trois dimensions. C’est tout récent, mais dans l’échelle temporelle de Bordeaux, c’est une perspective très encourageante. »